Fabrice Lépissier – CAFI

Fabrice Lépissier – CAFI

Grâce à son métier « très sérieux », mon père a eu la chance d’énormément voyager entre les années 70 et 90, et armé de son Canon me ramenait des photos des quatre coins du monde.

Et, naturellement, à quatorze ans je prenais mes premières photos.

Ce qui m’intéresse depuis 20 ans ? C’est d’avoir pu aller à la rencontre des gens, grâce à mon boitier qui m’a permis mille fois d’engager la conversation.

Les expériences ont été multiples : assistant photographe pour le studio « Vogue » à Paris, photographe en Thaïlande pour l’agence de presse Gamma, gérant d’un magasin de photo à Versailles, photographe pour un studio photo dans la région Parisienne, co-créateur de l’agence photographique « Synchro-x » … Et aujourd’hui, je suis photographe indépendant toujours plus curieux de la vie, et de la manière dont vivent mes contemporains. Ma propension à travailler sur des sujets de société et éventuellement, parler de ce qui ne « va pas » me fait penser que cela donne peut être à réfléchir et faire évoluer des situations qui ne devraient plus exister au 21ème siècle.

Son site : http://www.fabrice-lepissier.com/

Printemps 1956, un village vietnamien prend vie dans le Lot et Garonne. L’arrivée de 1200 français d’Indochine (dont 740 enfants) à Sainte-Livrade-sur-Lot, a transformé le camp militaire du village en « Petit Vietnam ».

CARI : centre d’accueil des rapatriés d’Indochine

La pancarte a été accrochée à l’entrée du camp quelques semaines avant leur arrivée. Pour loger « provisoirement » ces familles, les baraquements militaires ont été divisés en « appartements » de 2 à 4 pièces. C’est la seule transformation qui ait été apportée à ces bâtiments vétustes pour y loger les familles indochinoises, dont les nombreux enfants étaient souvent très jeunes. Une table, un buffet, des lits de camp équipés de matelas de paille, un petit poêle à charbon qui sert aussi bien pour chauffer que pour cuisiner. Et un couvert par personne.

Cafi © Fabrice Lépissier

Claude était enfant lorsqu’il est arrivé au centre d’accueil de Ste-Livrade. Aujourd’hui il est un peu amer. Il a le sentiment que les français rapatriés d’Indochine après la chute deDien Bien Phu, ont tout simplement été oubliés là. Cette amertume est un sentiment partagé par bien des habitants du « petit Vietnam sur Lot ». Car le centre existe toujours. Ce qui devait être du provisoire a duré.

Le Cari est devenu « Cafi » : Centre d’accueil des Français d’Indochine.

La vie s’est organisée. Les enfants sont allés à l’école du centre jusqu’à sa fermeture dans les années 70. Une pagode et une église ont été aménagées pour le culte. Femmes et enfants ont répondu au besoin de main d’œuvre de leurs voisins agriculteurs, travaillant d’arrache-pied pour un maigre salaire… Après la désillusion de l’arrivée, les familles se sont installées, le camp s’est empli des rires et des jeux des enfants, dans les allées embaumant la cuisine vietnamienne… Les baraquements n’ont pas bougé. Ils ont pris des couleurs, ont été améliorés par les familles qui y ont investi leurs économies. En bricolant de petites avancées couvertes de tôles, des cuisines et des bouts de salle de bain sont venus améliorer le mode de vie de ceux qui sont restés au Cafi. Les jeunes mamans arrivées en 56, sont aujourd’hui les mamies du Cafi. Mais elles n’y sont pas seules. Certains des enfants qui avaient grandi là y vivent encore aujourd’hui. Ceux qui sont restés pour s’occuper de leurs parents qui vieillissaient, ceux qui ont rencontré des difficultés à s’insérer ailleurs et les nostalgiques, qui sont revenus au Cafi à l’heure de la retraite.

« On nous a placé là, dans un camp ! Comme si nous étions des gens à surveiller. « Centre » c’est juste un nom moderne pour désigner un camp ! »

Claude

La Mairie de Sainte-Livrade, propriétaire du terrain et du bâti depuis les années 80, transforme le camp du Moulin du Lot en lotissements HLM. En 2010 les premières maisons neuves ont poussé au milieu des baraquements. Tous les habitants vont y être relogés d’ici 2 ans. Les premiers déménagements ont eu lieu en février 2011. Les barres de logements ainsi vidées sont promises à la destruction dans les semaines suivantes. À leur place une deuxième série de maisons sera construite…. jusqu’à la disparition des 36 barres du camp militaire qui durant plus de 50 ans, ont abrité la communauté Cafi.

Le Cafi est de ce genre de « sujets » qui m’a fait bondir en lisant l’article dans « Courrier International » de Tommaso Basevi, journaliste Italien qui s’est immergé pendant trois mois dans ce camp perdu au fin fond du Lot … Comment des histoires comme celle de ces gens peuvent-elles être possible en France aujourd’hui ?

Un grand merci aux habitants du Cafi pour leur disponibilité et leur gentillesse durant tous mes courts séjours.