Bénédicte Kurzen a commencé sa carrière photographique en 2003 en allant en Israël pour couvrir l’actualité chaude dans la Bande de Gaza, en Irak et au Liban.
En 2004, elle passe du «news» à la photographie documentaire avec un projet sur les femmes kamikazes volontaires et les veuves palestiniennes dans la Bande de Gaza. Ce travail fait partie d’un projet collectif plus ample intitulé « Violences faites aux femmes », en collaboration avec Amnesty International et Médecins Sans Frontières.
Bénédicte a une maîtrise d’histoire contemporaine de la Sorbonne, Paris. Son mémoire est consacré au « Mythe du photographe de guerre », ce qui l’inspira pour devenir journaliste d’image.
Au cours des dix dernières années, elle a couvert les conflits et les changements socio-économiques en Afrique. De l’Afrique du Sud (2015–2013), sa base, elle explore certains des plus douloureux défis de la société post-apartheid. Elle produit “Next of Kin” (Plus proche parent), “The Boers Last Stand” (Les Boers aux abois) et « Amaqabane ». Ce dernier projet consacré aux vétérans de la lutte anti-apartheid fut produit dans le cadre du prestigieux Joop Swart Masterclass en 2009. En 2011, elle reçoit une bourse du Pulitzer Centre qui lui permet de produire un travail complexe au Nigeria, “A Nation Lost to Gods” (Une Nation perdue des dieux), exposé à Visa pour l’Image, et qui lui a valu une nomination pour le Visa d’Or 2012.
Elle devient membre de l’agence NOOR, en 2012, et déménage à Lagos l’année d’après. De là elle continue à couvrir l’Afrique, avec une attention toute particulière pour le Nigeria, qui la passionne depuis longtemps. Son travail nigérian fait l’objet d’une exposition à Londres et à Lagos en collaboration avec Robin Maddock et Cristina de Middel : “Shine Ur Eye”. Enfin elle fut aussi professeur à l’Université américaine du Nigeria.
1 re EXPOSITION BARROBJECTIF 2017 : La guerre des signes
Au-dessus des arbres, le bourdonnement du MI–8, insecte bouffi, le ventre gros, blanc comme un cachalot mythique qui aurait quitté les mers pour le ciel. Son ombre passe légèrement sur la cime des arbres. Par des ouvertures, un vent fripon traverse l’intérieur ; la portière du poste de pilotage, mal assujettie, laisse voir l’équipage ukrainienne, le cou épais, rougi. L’hélico est loué, avec des subsides américains, par l’UPDF, Force de défense du peuple ougandais. Sur une banquette, deux officiers, leur kalache entre les genoux, déchargée, crosse en l’air. Un lieutenant de la section aérienne, les écouteurs scotchés aux oreilles, guide le vol, malgré le vacarme. Devant lui, des piles de caisses : des boîtes de singe, de la farine de mil, des bouteilles d’eau. A travers le hublot de la portière, on regarde la forêt en bas, vaste océan ses nuances de vert toujours changeantes, que traversent de pâles méandres de terrain dénudé d’arbres. Au loin, la masse grise des nuages pèse sur les arbres, nuages porteurs de pluie qui relie terre et ciel. L’hélico est quelque part entre le Soudan du sud et le Congo. Rien ne signale une frontière, rien ne laisse soupçonner la vie, ni feu, ni lopin cultivé, ni cabane.
C’est ici que se cache l’ennemi. Il suffit de jeter un œil pour comprendre à quel point ces missions de dépistage sont impossibles. Ce que les Ougandais appellent « Opération Foudre Éclair » se passe dans une région grande comme l’Allemagne, entièrement boisée, presque sans routes. L’ennemi, c’est-à-dire l’Armée de résistance de Lord, des rebelles ougandais, refoulés au-delà de la frontière il y a plusieurs années mais qui continuent à tuer, à piller, à enlever de jeunes esclaves dans les trois pays environnants. Il doit en rester quelques centaines : allez- donc les trouver !
2e EXPOSITION BARROBJECTIF 2017 : Naissances mortelles
Voici l’histoire de trois femmes, Sylvia, Promise, et Sipathi.
C’est une histoire d’ambiguïté et de dénégation à l’échelle nationale à la suite d’une foudroyante épidémie de sida.
Ces trois femmes vivaient dans le township de Tembisa, toutes les trois ont appris au cours de leur grossesse qu’elles étaient séropositives.
Ces images ne racontent que la moitié de l’histoire. Les femmes et leurs filles étaient prêtes à partager davantage. Promise voulait que le reportage documente la naissance de sa fille. Sipathi était en train de mourir quand je l’ai rencontrée, mais sa famille voulait que je photographie la dernière visite de son fils, et ses dernières heures chez elle.
J’avais voulu aussi montrer comment l’hôpital public la négligeait, les heures qu’elle a passées couchée dans son vomi, jamais lavée. Malgré l’aval du Comité éthique de Pretoria, les autorités m’ont refusé la permission.
C’était à l’époque de Mbeki, c’était à l’époque de Manto Tshabalala-Msimang, époque où, malgré les morts de Sipathi et de Badalo, on m’a soutenu que le sida n’existait pas.
3e EXPOSITION BARROBJECTIF 2017 : Une nation perdue des dieux
Au Nigeria on n’a jamais fini de compter les morts. Chaque jour voit de nouvelles victimes, de nouvelles attaques, encore des attaques, contre des églises, des casernes de police, des écoles. Ce conflit sans nom fait rage dans un arc de cercle qui traverse une grande partie du Nigeria septentrional. Maiduguri, Kano, Damturu, Gome sont les villes d’une région dévastée dont chaque quartier paraît écrasé par ce conflit.
Mais de quel conflit s’agit-il au juste ?
Dans ce reportage, qu’il nous a fallu plus un an entier à rassembler, nous essayons, avec l’oeil lucide et impitoyable du Nord, d’examiner les symptômes de la violence sectaire. Après les élections présidentielles d’avril 2011, une vague de tension politique, expression de la frustration d’un peuple las de la corruption politicienne, a trouvé son exutoire : huit cents morts en quelques jours. Mais le conflit ethno-religieux qui se poursuit dans la région du centre semble être aussi aux premières lignes d’une guerre religieuse, aggravée par les suites du onze septembre 2001.
Ici, le global s’est fait local. Qu’on soit Berom, Hausa, Fulani, Ngas, indigène ou pas, chaque crise accentue la réaction religieuse. Plus récemment pourtant, le Nord voit des hostilités plus profondes et plus féroces. Les attaques salafistes ont fait depuis 2009 un millier de victimes. Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati Wal-Jihad, plus connu sous le nom qu’on lui donne en hausa, Boko Haram, a plongé le Nigeria dans la peur.
Le Nigeria semble au plus haut point étranger, mais l’évolution du chaos pose une question brûlante : comment des gens qui n’ont rien de commun peuvent-ils cohabiter à l’intérieur d’une unité nationale qu’on leur a imposée, alors que l’injustice, la corruption profonde des puissants érodent chaque jour le contrat social, d’où leur colère, leur frustration ? À essayer d’expliquer ce qui se passe au Nigeria du nord, on se heurte à un mur. On se trouve en face de généralisations et de simplifications, mais au Nigeria rien n’est simple. Le renouveau des tensions religieuses date de la fin du régime militaire en 1999. Libéré du poids de la dictature, le Nigeria s’est encore une fois scindé en deux. Cette société hétéroclite de plus de deux cents ethnies fut pourtant unifiée en 1914 à l’époque où la colonie anglaise était gouvernée par Lord Lugard. Plus d’un siècle après, l’amalgame n’a jamais paru aussi dépassé, aussi obscur.