..COUP DE CŒUR DU FESTIVAL ..
Graphiste de formation, Isabeau de ROUFFIGNAC a longtemps travaillé en agence en tant que directrice artistique puis en indépendante, découvrant la photographie au début des années 2000. C’est une révélation, et bientôt une évidence. Depuis, elle photographie les univers lointains ou proches, entre approche documentaire et démarche résolument artistique. Une ligne de conduite, comme un fil qui traverse ses travaux et leur donne leur cohérence : approcher l’autre, l’apprivoiser, prendre le temps, apprendre sa langue, se faire oublier.
Isabeau de Rouffignac est une discrète et une tenace.
Depuis quelques années, elle se consacre entièrement à la photographie et explore la complexité d’autres cultures sur lesquelles elle porte un regard très personnel, toujours curieux, et fondamentalement empathique. C’est ainsi qu’elle a suivi, dans ses tournées aux confins du désert, un facteur indien, découvert la médecine traditionnelle akha en Thaïlande, remonté les traces du génocide des Khmers rouges au Cambodge.
Il y a, chez Isabeau de Rouffignac, une révolte sourde qui emprunte la photographie pour dire le sort des plus fragiles. Que cela soit son travail à Bhopal en Inde, sur les traces de la pire catastrophe chimique que le monde ait connue, ou ce dernier travail sur les mineurs du Rajasthan ce sont des plaidoyers pour celles et ceux, souvent sans voix, qui luttent toujours pour faire reconnaître leurs droits. Elle les raconte avec pudeur, nous offrant une photographie documentaire inédite, dans laquelle elle embarque ses sujets. Et nous avec eux.
..EXPOSITION BARROBJECTIF 2021 : Marbre à tout prix ..
Marbre, translucide dans les palais, veiné d’orangé, comme une feuille légère et fragile. Marbre. Autour de nos baignoires et de nos piscines, dans nos halls somptueux, dans nos aménagements récents comme au temps de nos rois. L’inde est un des plus gros exportateurs de marbre et le Rajasthan fournit 90% du marbre qui quitte le pays. Dans cette région, les carrières à ciel ouvert s’étendent à perte de vue, créant dans le paysage aride de gigantesques escaliers blancs où s’activent hommes et machines.
Depuis quelques années, la demande en marbre n’a fait que s’accroitre, rendant toujours plus difficiles et dangereuses les conditions de travail. Dans les mines de marbre indiennes, de pauvres payes, pas de contrats de travail, pas plus d’assurances.
Dans cette série, j’interroge l’univers des ouvriers du marbre sur leur lieu de travail, à travers les paysages, des portraits, des détails. Les mineurs sont vêtus de leurs vêtements quotidiens blanchis par la poussière de marbre qui s’incruste partout. Souvent, ils ne sont chaussés que de sandales. Ils devraient porter casques, gants et chaussures de protection, mais il fait chaud et, surtout, ces équipements de sécurité sont rarement fournis ou leur port n’est pas obligatoire. Quand il l’est, aucune vérification officielle ne vient s’assurer que les ouvriers soient correctement protégés. Tout au long de ce travail, je n’ai jamais vu d’ouvriers correctement protégés.
Au Rajasthan, la moitié des emplois sont fournis par le secteur du marbre. Sa présence en sous-sol a fait disparaître une part trop importante de l’agriculture. Son exploitation assèche les terres et il faut bien vivre de quelque chose. Certains travaillent là, comme leurs parents avant eux. Comment changer de vie quand on ne sait ni lire ni écrire et que l’on ignore ses propres droits ? Alors, on travaille au jour le jour. Faute de pouvoir épargner, quand arrivent les quatre mois de mousson et que l’exploitation des mines s’arrête le temps des fortes pluies, le seul moyen de s’en sortir est souvent d’emprunter à son employeur de quoi tenir jusqu’à la reprise du travail. Avec un taux d’usurier autour de 25 %, ils se retrouvent souvent pieds et poings liés avec les propriétaires des mines qui ont toute liberté pour imposer les conditions de travail.
Avant d’extraire le marbre, certains d’entre eux étaient agriculteurs et propriétaires de leur terre. Mal informés de sa valeur réelle, ils l’ont souvent cédée à vil prix et se retrouvent à travailler pour celui qui l’a acquise ainsi. Il y a aussi ceux qui sont venus d’autres régions de l’Inde pour travailler ici et retourneront chez eux pendant les mois de mousson.
Les conditions de travail sont telles que beaucoup souffrent de déshydratation, de blessures mal soignées, de problèmes auditifs. Surtout, les pathologies respiratoires sont très fréquentes, notamment la très dangereuse silicose provoquée par l’inhalation de particules de poussière de silice qui détruit les poumons. Elle ne se soigne pas. En 2016, une étude a évalué qu’un mineur de marbre sur deux serait (ou sera un jour) atteint de silicose ou de silico-tuberculose. Cela représente plus de 800 000 personnes.
L’état a mis en place des mesures pour améliorer les conditions de travail et prévenir les risques sanitaires, mais elles restent généralement lettre morte. Pendant ce temps, le marbre continue de détruire les corps et de tuer, mais il faut bien, chaque jour, aller travailler…
Légende de la photo d’en tête
Il est ouvrier journalier dans les carrières. Mal conseillé, il a vendu son terrain au plus gros exploitant de marbre de la région à un prix ridicule. Non seulement ce n’était pas le bon prix, mais l’exploitant a transforme son terrain en une immense décharge. Il na plus rien et habite désormais au pied de celle-ci, dans la poussière et le bruit des va-et-vient quotidiens des camions. Il tousse beaucoup. Il n’a pas d’assurance santé.