Anthony Micallef – Iran : les caravanes de lumière

Anthony MicallefAnthony MICALLEF – FRANCE Photoreporter, membre de l’agence HAYTHAM PICTURES. Il aime s’immerger dans des communautés durant plusieurs mois, pour les raconter de l’intérieur. Il a notamment travaillé sur les jeunes militants du FN, sur un sosie d’Elvis Presley, sur les Urgences, sur le siège des Nations-Unies et sur les Beaux-Arts de Paris.

EXPOSITION BARROBJECTIF 2018 : Iran – les caravanes de lumière

caravanes de lumière-Iran
Des pancartes en carton representant des photos d’archive de la guerre jalonnent le parcours. Pelerinage de Rahian-e Noor sur le memorial de Talaieh en Iran.

En Iran, chaque année lors du printemps, des milliers de familles prennent la route pour se rendre sur les lieux de bataille de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Ces pèlerinages, appelés “Royan-e Noor” en persan (les caravanes de lumière), sont motivés par l’attachement personnel des pèlerins à leurs proches morts au combat, ce conflit ayant fait plus d’un demi-million de morts côté iranien. Mais il est également porté et organisé par le régime, qui y voit l’occasion de diffuser sa doctrine de manière très efficace : la vingtaine de lieux de mémoires répartis à la frontière irakienne sont en effet tenus par les Gardiens de la Révolution, l’organisation paramilitaire créée par Khomeyni en 1979 pour assoir son pouvoir et surveiller la population de l’intérieur. Sur place, c’est tout le pouvoir iranien qui mobilise habilement le passé pour assoir son emprise sur la population actuelle, notamment les jeunes iraniens. Reportage sur les mémoriaux de Shalamcheh, de Talaieh et d’Arwandkenar lors de la période de Nowrouz, le Nouvel An iranien.

Des centaines de cars sont affrétés depuis Téhéran et les principales villes du pays pour transporter les familles jusqu’aux mémoriaux. Sur place, les visiteurs parcourent des lieux d’affrontement réels, mais également largement mis en scène (reproduction récente de bunkers, positionnement précis de carcasses de tanks, cheminement au milieu de barbelés et de fausses mines…). L’émotion des pèlerins est surtout amplifiée par trois éléments très maitrisés : d’abord par l’emplacement même sur la ligne de front et ainsi la proximité extrême avec l’ex-ennemi irakien, la frontière n’étant parfois qu’a cinquante mètres des visiteurs. Ensuite par l’omniprésence des photos des Iraniens tués sur le front, toujours désignés comme « martyrs ». Enfin par l’intervention sur place de vétérans de la guerre, qui racontent aux pèlerins rassemblés l’ampleur des atrocités commises par les soldats de Saddam Hussein, en usant d’anecdotes morbides répétées quotidiennement, mais qui insistent aussi sur l’héroïsme des Iraniens, tant de ses militaires professionnels que via les afflux de jeunes bassidjis, dont la réalité historique a surtout été l’utilisation massive comme chair à canon, en les envoyant au front par vagues aussi nombreuses qu’inexpérimentées.

Sur place, le devoir de mémoire et l’hommage légitime masquent difficilement un endoctrinement puissant : le régime assimile en effet toutes les victimes iraniennes à la figure du martyr (chahid), et leur combat sur le front a la notion de djihad. Ces deux notions coraniques, sacrées pour l’Islam et particulièrement centrales chez les chiites iraniens (compte tenu de leur histoire et du martyre de l’Imam Hossein, référence absolue en Iran), mêlent et superposent ainsi les dimensions militaires et religieuses. Cette guerre n’a d’ailleurs jamais été présentée à la population comme un conflit militaire entre deux états, mais comme une « Défense sacrée ».

Ces pèlerinages, en réactualisant la douleur d’une guerre achevée depuis 30 ans, servent des enjeux très actuels. La théâtralisation des lieux et la dimension religieuse omniprésente n’ont qu’un objectif : mobiliser la population, notamment les jeunes Iraniens, et s’assurer de leur soutien indéfectible contre ceux qui seraient désignés comme les nouveaux ennemis du régime.