Patrick Bard _ Invité d’honneur 2010

Patrick Bard est né en 1958 à Montreuil-sous-Bois. Photojournaliste, romancier, écrivain-voyageur, il a notamment travaillé sur la banlieue, les frontières et les routes. Son premier roman, « La frontière », a reçu le prix Michel Lebrun (2002), le prix Brigada 21 (Espagne, 2005) et le Prix ancres Noires 2006. Membre de la Maison de photographes signatures-photographies.com, il mène un travail personnel sur la problématique de l’eau en Amazonie et sur les peuples autochtones des Amériques. Son travail photographique a été exposé au Centre Pompidou, à la Grande Halle de la Villette, mais aussi au Mexique, en Espagne, en Angleterre, aux États-Unis…
Avec son épouse, Marie-Berthe Ferrer, il arpente l’Amérique Latine depuis de nombreuses années. Ses œuvres ont été acquises par plusieurs musées et collections privées.

EXPOSITION BARROBJECTIF 2010 : Femmes sacrifiées du Guatemala

Au 31 décembre 2008, plus de 3 500 femmes avaient été assassinées au Guatemala depuis 2000. Parce qu’elles étaient des femmes. Un crime qui porte un nom : le fémicide. Violées, torturées, abattues – parfois pour voler leurs enfants -, victimes de violences de tout type, les femmes du Guatemala sont surexposées à la folie meurtrière des hommes, au point qu’en mai 2008, le président Alvaro Colom nouvellement élu a fait adopter une loi qui fait du « crime de genre » une circonstance aggravante en cas d’homicide. Comment en est-on arrivé-là ?

1978 : le général Lucas Garcia arrive au pouvoir. Les peuples Mayas représentent plus de la moitié des 8 millions de Guatémaltèques. Affamés, ils réclament des terres dont ils ont été spoliés. Les militaires préfèrent la voie du sang à celle du partage. Sur plus de 4 millions d’indigènes, 250 000 sont exterminés au prétexte d’une lutte anti-guérilla. 640 communautés Mayas sont rayées de la carte. L’armée combat son propre peuple. Ces massacres sont accompagnés de campagnes de viols planifiés. De 40 à 50 000 femmes sont abusées, réduites en esclavage sexuel dans des casernes. Sur 5 victimes des violences du conflit, 4 sont des femmes. 1996 : l’armée dépose les armes. Les casernes sont démantelées. Les militaires regagnent les villes et se recyclent par milliers : entreprises de sécurité privée, police, crime organisé. Les passerelles entre ces trois domaines sont nombreuses et la police est corrompue et violente. À partir de la fin des années 90, les cartels mexicains s’installent au Guatemala. Les gangs, les « Maras », venus des USA, s’enracinent en Amérique Centrale. Ils ont le meurtre pour rite d’initiation et tuent les femmes du gang d’en face pour attenter à la virilité de l’ennemi. Tout comme l’armée avec les Mayas.

Si la guerre est finie, le corps des femmes demeure un champ de bataille. Une vague de violence fémicide frappe désormais le pays, surtout en milieu urbain, et surtout les femmes des milieux modestes, plus exposées. Le sinistre décompte commence en 2000. Avant, la statistique ne distinguait pas le sexe des victimes d’homicides. Au Guatemala, à peine 2% des meurtres sont punis. Qui tue les femmes ? En 2005, les ONG ont étudié la typologie des fémicides, attribuant 27% des meurtres au « Maras » et 22% à la violence domestique. Reste 51% des assassinats inexpliqués, la majorité. Impossible de ne pas penser à ces psychopathes formés au massacre, au viol, relâchés dans les villes, sous un uniforme de policier, de vigile, recyclés en narcotrafiquants. Difficile de ne pas évoquer un continuum entre politique génocidaire (une procédure pour actes génocidaires est en cours en Espagne contre les responsables du conflit) et fémicide contemporain. Ici, les femmes meurent. Parce qu’elles sont des femmes. Mais elles résistent aussi. Un combat difficile, car 2010 sonne comme le sinistre anniversaire de l’ouverture d’une « chasse aux femmes » sans précédent en Amérique Centrale.

Patrick Bard & Marie-Berthe Ferrer