Thomas Morel-Fort _ Fallou Diop, l’espoir imprévu de l’hippodrome

Thomas Morel-Fort _ Fallou Diop, l’espoir imprévu de l’hippodrome

Photographe indépendant depuis 2016, Thomas MOREL-FORT travaille principalement sur des projets documentaires au long cours.

Son travail a été publié dans The Guardian, Der Spiegel , 6mois, Marie Claire International, Grazia, Le Parisien, L’express, L’Obs, Paris Match, LaCroix, Le Figaro Magazine, Marianne, Le Monde, L’Equipe Magazine, Mediapart.

Avant de se consacrer à la photographie il fait des études à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS) de Bruxelles et un parcours universitaire à la Sorbonne (licence de philosophie) et à la Sorbonne Nouvelle (licence de cinéma). Entre 2013 et 2016, il travaille comme salarié du Parisien pour couvrir l’actualité nationale.

En 2015, il entame son premier projet au long cours sur les employées domestiques philippines. Pour cette enquête il se fait lui-même embaucher comme employé domestique aux côtés de Donna en immersion pendant plus d’un mois dans la villa d’une riche famille libyenne sur la French Riviera.

Le Prix Camille Lepage reçu à Visa pour l’Image en 2019 lui permet de se rendre aux Philippines suivre les familles des femmes rencontrées en France.

Passionné de cinéma et de philosophie, en parallèle de son travail de journaliste, il approfondit un travail interrogeant le voyeurisme. Sa série Sport de Nuit a été exposée à Los Angeles et Brian Paul Clamp en parle en ces termes : “Morel-Fort’s handsomely stylized images of individuals engaged in athletics in urban night settings are a world away from what one envisions when considering traditional sports photography. Quiet, still, and mysterious—these dramatic photographs have more in common with surveillance imagery.” En 2022, il est lauréat de la Bibliothèque Nationale de France dans le cadre de la grande commande « Radioscopie de la France » pour un projet à la chambre photographique réalisé en binôme avec la photographe Axelle de Russé.

Ce reportage réalisé pour l’Équipe Magazine a remporté :

Les courses de chevaux sont l’un des sports les plus populaires au Sénégal, avec la lutte et le football.
Les jockeys deviennent professionnels dès leur plus jeune âge.

Parmi eux, Fallou Diop, 19 ans, la star nationale qui enchaîne les victoires et galvanise une jeunesse qui se bat pour son avenir.

Ce jeune cavalier sénégalais s’est fait un nom dans les courses de chevaux depuis plusieurs années. Il s’entraîne dans la banlieue de Dakar, près du Lac Rose.

Meilleur espoir masculin des jockeys sénégalais, rien ne prédestinait cet enfant issu d’un milieu défavorisé qui a quitté l’école à l’âge de 12 ans à monter un cheval de course et à enchaîner les victoires. Aujourd’hui, Fallou Diop, dans un pays où le salaire mensuel moyen est d’environ 180 euros, peut gagner jusqu’à 600 dollars par course.

© Thomas Morel-Fort

Avec cet argent, le jeune homme aide financièrement son père, un agriculteur, qui a deux femmes et quinze enfants. Il paie la scolarité de ses frères et sœurs, a financé un nouveau toit pour sa famille et aide ses voisins à Niaga, son village natal. Il est toujours entouré d’une foule de jeunes fans qui admirent ses exploits.

Beaucoup rêvent de devenir jockeys, mais peu y parviendront.

La filière équine est un réservoir d’emplois pour les jeunes Sénégalais, dans un pays où le taux de chômage des 15-34 ans est de 15%. Le rêve de Fallou est désormais de concourir au Maroc et en France où il espère partir s’entraîner.

Extrait de l’article pour l’Équipe Magazine par Louise Pluyaud

La foule se rassemble devant l’hippodrome Ndiaw Macodou Diop, à Thiès, la troisième plus grande ville du Sénégal. Chaque dimanche, c’est jour de course. Il fait plus de 40°C et un cortège d’enfants en ébullition s’apprête à accueillir leur champion. Tirés par leurs palefreniers d’à peine 16 ans, les premiers chevaux à la peau satinée de beurre de karité, arrivent fièrement. Dans leur sillage, le meilleur jockey du pays depuis trois saisons, celui vers qui tous les regards se tournent, rejoint l’équipe de son écurie, Lambafar. « Fallou Diop est un prodige. Vous lui donnez n’importe quel cheval, il en fera un vainqueur », s’exclame son mentor, Oumar Bao. Ce riche homme d’affaires, propriétaire d’une centaine de chevaux, tient l’écurie Lambafar créée en 1940 par son arrière-grand-père. Il doit à son poulain sa plus grande victoire, celle du Grand Prix du chef de l’Etat en 2019. « On attendait ça depuis 80 ans !, s’exclame-t-il. Depuis on le surnomme « kan tue ko gaynde », l’oiseau qui tue le lion en wolof ». Fallou devance d’excellents jockeys qui ont plus de vingt ans d’expérience. » Fallou Diop est doué mais « c’est surtout un gamin qui rectifie immédiatement ses erreurs », précise Papa Seck, directeur de formation au sein du Comité national des courses hippiques.

Le jockey de moins d’1m50 pour 37 kilos a aussi un sacré avantage : il peut monter toutes les catégories de chevaux. Tandis qu’il enfile sa tenue, le coureur ne laisse rien paraître. Mais lorsqu’il pénètre dans l’arène, une clameur retentit dans les gradins où sont présents le maire de Thiès, le ministre des Sports et le ministre de l’Elevage. L’événement passe en direct sur la chaîne nationale 2STV. Fallou Diop enfourche sa monture, un 7/8 de pur-sang qui concourt pour la première fois, et part au trot se positionner au départ. Des gamins des rues qui n’ont pas les moyens de s’acheter un ticket ont réussi à se faufiler à travers les murs fendus de l’hippodrome pour regarder leur champion. La sonnerie retentit. Les boxes s’ouvrent. Les jockeys s’élancent dans une tempête de sable. A la clé : 1 million de francs CFA. Derrière leurs écrans de télévision, les habitants de Niaga observent l’enfant du village prendre le premier virage.

Niaga est situé à une trentaine de kilomètres de Dakar, près du Lac Rose. Sept ans plus tôt, Fallou Diop toquait à la porte des écuries Lambafar voisines « pour tester ses aptitudes ». L’adolescent voulait aider financièrement sa famille (son père, ses deux femmes et quinze enfants). Dans un pays où le salaire mensuel moyen au Sénégal s’élève à environ 180 euros, un jockey peut remporter 600 euros par victoire. « J’ai quitté l’école pour tenter ma chance dans les courses hippiques et gagner beaucoup d’argent rapidement », reconnaît Fallou. Oumar Bao décèle immédiatement son talent et l’envoie deux ans à Dakar dans l’unique club hippique du pays. « En plus d’être un excellent stratège, Fallou est un meneur d’hommes. Il fédère et partage ses conseils avec les autres. Au centre, il était surnommé « le syndicaliste » », s’amuse son formateur Papa Seck. Si Fallou sourit peu, ses amis se comptent par dizaines. « Il faut dire qu’il donne sans compter », assure son oncle, Samba Diop. Grâce à sa générosité, la maison familiale s’est surélevée d’un étage.Il paye aussi la scolarité de ses frères et sœurs. « La seule chose qui manque à Fallou c’est l’instruction », admet Papa Seck qui prévoit de développer une section sport-étude. Au Sénégal, le chômage des 15-34 ans atteint les 15%. « Et avec ses multiples débouchés, la filière équine est porteuse d’avenir, assure le formateur. L’Etat doit nous soutenir. ». « Les jeunes ne trouvent pas d’emplois. C’est par désespoir qu’ils traversent en pirogue l’océan Atlantique pour rejoindre l’Europe », s’attriste Samba Diop. L’Europe, Fallou en rêve lui aussi. Après Mohamed Gadiaga, il pourrait être le deuxième jockey sénégalais à fouler les pistes françaises. En 2022, il doit suivre une formation auprès de l’Association de formation et d’action sociale des Écuries de Courses (AFASEC). A quand une participation au grand Prix de l’Arc de Triomphe ? « Nous avons le pilote, il nous manque l’engin », reconnaît Papa Seck. Récemment, un propriétaire marocain a proposé que Fallou monte ses chevaux dont certains concourent en France. En attendant, à Thiès, le jeune jockey franchit le premier la ligne d’arrivée. Sur une banderole publicitaire, ce slogan : « Soif de vivre mieux ».

© Thomas Morel-Fort