Patrick Bard _ El dia de los muertos

INVITÉ D’HONNEUR EN 2010

BIOGRAPHIE

Membre de l’agence Signatures, Patrick Bard est photographe et romancier. Ses travaux ont été exposées en France, en Espagne, en Belgique, en Angleterre, au Mexique et aux USA et publiés dans la presse internationale. Il est l’auteur de plus de vingt ouvrages photographiques et de neuf romans traduits en espagnol, italien, grec, anglais (USA) pour lesquels il a reçu de nombreux prix. L’Amérique Latine, les frontières, la question des femmes sont au centre de son travail. En 2015, il a publié « Mon neveu Jeanne » (Ed. Loco), un essai documentaire sur le genre. Son roman sur l’embrigadement, « Et mes yeux se sont fermés » (Syros, 2016), a été récompensé par douze prix. Il a également publié une monographie sur la forêt en 2018, «Promenons-nous dans le bois » (Imogene) dont les images seront présentées à l’automne 2019 au musée Zadkine à Paris.

Photographe Patrick Bard © Marie-Berthe Ferrer

2015. « Spectre », l’un des tout derniers épisodes de James Bond, débute par une impressionnante scène tournée à Mexico durant la Fête des morts, au beau milieu des chars et d’une foule grimée en squelettes. Plus mexicain, tu meurs. Sauf que l’instant doit tout à la fiction. Qu’importe, on ne montre pas impunément la mort aux Mexicains qui trouvent l’idée excellente et achètent les chars à la production, à l’issue du tournage. Le défilé de cinéma devient réalité dès l’année suivante. En 2016, 200 000 personnes le suivent ou y participent à l’occasion de la fête des Morts. En 2017, ils sont plus d’un million. Cette capacité mexicaine à donner vie aux mythes est, sans nul doute, à l’origine de la ferveur dont le peuple fait montre chaque année et de manière croissante, deux semaines durant, aux alentours de la Toussaint.

Pour comprendre, il faut revenir à la période qui suit la conquête. Si l’Église a bien intégré la fête pré-hispanique des morts, elle en a déplacé le temps. Auparavant, elle avait lieu au mois d’août, son déroulement coïncidant avec la fin du cycle agricole du maïs, de la courge, des pois et des haricots. Elle commençait avec la coupe du xócotl, un arbre dont on retirait l’écorce et que l’on décorait de fleurs. Les familles lui apportaient des offrandes vingt jours durant. Ces festivités étaient dédiées aux défunts proches. Elles étaient célébrées entre le neuvième et le dixième mois du calendrier solaire mexica correspondant aux mois de juillet et d’août et étaient placées sous la protection de Micteccacihuatl, épouse du Seigneur de la terre des morts, Mictlantecuhtli. Les crânes des sacrifiés étaient exposés sur des tzompantlis, des murs-autels de crânes. Mais la conquête change la donne.

Dans le courant du siècle qui suit la colonisation, la Fête des Morts est déplacée vers la Toussaint. Sa célébration est encore marquée par des offrandes de monnaie, de cacao, de cire pour les cierges, d’oiseaux, de fruits, ainsi que de grandes quantités de graines et de nourriture. Le premier jour est dédié aux enfants morts, le lendemain aux adultes. Des autels sont dressés – dans les foyers autochtones, surtout, au centre et au sud du pays. On y dispose les représentations des ancêtres, les quelques objets qu’ils affectionnaient, ainsi que leurs plats et boissons préférés. On se rend au cimetière pour les visiter et disposer un bouquet de fleurs. Une façon de perpétuer rituels et croyances pré-coloniaux tout en respectant à minima les traditions chrétiennes de la Nouvelle-Espagne.

Le temps passe encore. Nous sommes au début du XIXème siècle. La fête des Morts aztèque est pratiquement tombée dans l’oubli. Seules les communautés autochtones isolées du Chiapas ou de Oaxaca la célèbrent encore de façon plus traditionnelle, comme c’est toujours le cas chez les Mazatèques de Huautla de Jimenez, avec des masques de bois, en fondant des cierges en cire d’abeille, en buvant force aguardiente à base d’agave. L’indépendance du Mexique en 1821, la séparation d’avec le Guatemala en 1823, la guerre de 1836 avec les États-Unis, la perte de la moitié des territoires cédés au nord aux Américains en 1848, enfin, l’invasion française, improbable aventure impériale qui s’achève par la victoire mexicaine et l’exécution de Maximilien 1er en 1867 vont faire émerger progressivement un ardent désir d’identité nationale chez les Mexicains. En 1858, Benito Juarez, un Zapotèque originaire de Oaxaca, devient le premier président indigène de l’histoire de son pays et du continent américain. Après avoir résisté aux Français, il rétablit la république. Hélas, la démocratie est bien vite confisquée par le dictateur Porfirio Diaz, lequel sera renversé par la révolution mexicaine de 1910.

C’est à ce moment charnière que les intellectuels ressuscitent les racines autochtones du pays, s’en emparent et les revendiquent, quitte à tordre quelque peu la vérité historique. Qu’importe, le Mexique se forge déjà une réputation de géant culturel, qui, elle, est tout sauf usurpée. La Fête des morts et ses origines pré-hispaniques resurgissent un peu à la manière dont, pendant la guerre de 1870, les Français exhument la figure de Jeanne d’Arc oubliée depuis le Moyen-Âge pour réveiller un patriotisme anesthésié par Napoléon III.

Étendard de cette résurrection, la Catrina ou Catrina garbancera voit le jour en 1912 sous le crayon imaginatif de José Guadalupe Posada, un caricaturiste qui la dessine sous la forme d’un squelette coiffé d’un chapeau à voilette, parfois habillé de vêtements féminins. Le succès est immédiat. Le personnage devient très vite une figure populaire, bientôt reprise et déclinée sous de nombreuses variantes par les artistes des années 20, Diego Rivera en tête. C’est en effet lui qui la baptise Catrina (synonyme d’une élégance parfois exagérée en castillan mexicain) et l’intègre dans une fresque murale. Reproduite en masse, elle deviendra rapidement une figure consubstantielle de la mexicanité et sa popularité ira croissante jusqu’à nos jours, d’autant que le commerce s’en mêlera vite et que l’Halloween des voisins gringos s’invitera à la fête. Reflet de l’âme mexicaine, la fête des morts, ressuscitée au tournant des années 1910, est aujourd’hui tout à la fois l’incarnation d’un syncrétisme joyeux et d’un événement à la fois culturel commercial.

Définitivement, au Mexique, pays où selon Paz « La mort est la mère des formes », mourir, c’est renaître.

Patrick Bard

SOIRÉE PROJECTION VIDÉO : Mon neveu Jeanne

Dimanche 15 septembre à 20h30 projection vidéo qui traite de la question du genre « Mon neveu Jeanne » de Patrick BARD ,

Jeanne, lors de la soirée de Noël 2005, à Savigny-sur-Orge. © Patrick Bard