Sébastien Leban _ L’île perdue

BIOGRAPHIE

Sébastien LEBAN est un photojournaliste indépendant français né en 1987. Il a grandi en Lorraine dans un bassin minier et sidérurgique. L’univers prolétaire et laborieux qui l’entoure pendant son enfance influence les sujets qu’il aborde. Il réalise un premier projet sur sa ville natale de Florange puis s’intéresse aux Roms de Roumanie. Sébastien Leban est membre de l’association de photographes Divergence.

Autodidacte, il s’installe en 2013 en Israël. De retour à Paris après deux années au Proche-Orient, il continue de documenter le conflit israélo-palestinien avec une approche qu’il veut sensible et humaine. L’objectif : sonder deux sociétés qui s’opposent depuis près de 70 ans à travers des sujets comme les objecteurs de conscience dans l’armée israélienne, la problématique de l’énergie à Gaza, les réfugiés africains à Tel Aviv ou encore la vie des colons en Cisjordanie. Son travail s’articule autour des thèmes sociaux et sociétaux qui lui sont chers. En 2015, Sébastien s’est intéressé à l’île de Kihnu en Estonie et à son matriarcat hors du commun. Toujours avec une approche humaine et dans le désir de documenter la vie quotidienne des populations locales, il s’intéresse en 2016 à la problématique énergétique à Gaza. Depuis 2018, il aborde la question du dérèglement climatique et de son impact direct sur les populations. Sébastien travaille régulièrement en commande pour plusieurs titres comme Le Monde, L’Obs, Le Point, Paris Match, L’Équipe Magazine, Grazia, Le Parisien Week-End, etc. Son travail a été exposé et récompensé dans plusieurs festivals, notamment au Lumix Festival for Young Photojournalism, Kolga Tbilisi Photo ou Istanbul Documentary Photography Days.

https://www.sebastienleban.com/

L’île de Tangier est une métaphore de l’absurde. C’est la chronique de la mort annoncée d’une des communautés les plus reculées de l’est des États-Unis. Ses habitants, climatosceptiques convaincus, voient leurs terres s’enfoncer peu à peu dans l’océan et refusent la réalité qui s’écrit sous leurs yeux.

Aux commandes de son bateau à moteur, James Eskridge, maire de Tangier, s’éloigne du dock. La rive s’estompe et une seule pensée le hante : la crainte de voir disparaître son île, qui accueille les siens depuis près de deux siècles. James sait que les jours de Tangier sont comptés. La menace, c’est la montée des eaux, couplée à l’érosion. L’océan qui fait vivre les insulaires depuis des générations les condamne aujourd’hui à une disparition certaine.

Punition divine, fatalité ou réchauffement climatique ? Le maire récuse cette dernière possibilité : “L’érosion emportera l’île bien avant la montée des eaux. Je ne crois pas dans le changement climatique, ni personne ici d’ailleurs. Ni que l’homme soit la cause de quelconque dérèglement. Je pense simplement que ces changements sont des cycles naturels”.

Depuis les premiers relevés cartographiques vers 1850, l’île a perdu les deux tiers de sa superficie. Plantée au milieu de la baie de Chesapeake, à 160 km de Washington DC, Tangier culmine à 94 centimètres au-dessus du niveau de la mer. C’est la pêche du crabe qui nourrit la très conservatrice et religieuse communauté de 460 habitants. Lors de l’élection présidentielle de 2016, Tangier a accordé au candidat Donald Trump 87% de ses voix.

David Schulte est biologiste marin et travaille sur le cas de Tangier depuis quinze ans. Il a publié en 2015 un rapport alarmant dans la revue américaine “Nature”: “Chaque année, l’océan gagne près de quatre mètres sur le rivage et les zones marécageuses s’élargissent. Ces deux phénomènes sont accélérés par la montée des eaux et le réchauffement climatique. Dans la baie de Chesapeake, le niveau de l’océan augmente de cinq millimètres par an, c’est près de deux fois la moyenne mondiale”. Devenus malgré eux les symboles du dérèglement climatique sur le continent américain, les habitants rejettent en bloc cette théorie.

Chaque matin, les hommes du village refont le monde, assis sur le dock, face à l’océan. Devant eux, un bateau aux allures de QG de campagne de Trump affiche fièrement stickers et drapeaux. Sur toutes les lèvres, comme chaque jour : l’avenir de Tangier. D’autres îles habitées ont déjà disparu, comme Holland Island : en 2010 à quelques miles de là, la dernière maison s’est effondrée dans les eaux.

Alors que certains placent leurs espoirs en Donald Trump, d’autres préfèrent s’en remettre à Dieu. Pas un dimanche ne passe sans que les deux chapelles de l’île n’affichent complet pour le sermon du dimanche au cours duquel on distille de fermes positions anti mariage gay, pro-life et un soutien indéfectible à Israël (les évangélistes s’en remettent à la Bible et affirment que les juifs sont le peuple élu). Mais la volonté divine se rappelle au souvenir des fidèles lors des grandes marées. Plusieurs fois par mois, la mer recouvre alors le rivage, envahit les routes et les jardins, offrant pour quelques heures un avant-goût de la catastrophe annoncée.

Si Washington ne propose pas une solution rapidement, accompagnée de millions de dollars pour la construction de digues, Tanger pourrait disparaître dans les eaux d’ici 25 ans. Ses habitants compteront alors parmi les premiers réfugiés climatiques des États-Unis.