Laure BOYER est photographe indépendante depuis une dizaine d’années. Basée à Paris et membre du collectif Hans Lucas, elle est régulièrement publiée dans la presse. Son travail documentaire s’intéresse à l’humain et au temps long, à l’individu face aux grands mouvements économiques, sociaux ou culturels.
« Quelles que soient leurs origines, leur culture, leur métier, les individus sont soumis aux avancées et aux soubresauts de l’histoire. Dans un monde rétréci par une interconnexion constante et une « mondialisation » aux contours indéfinis, les événements, même lointains, se répercutent concrètement et instantanément sur la vie de chacun. Quelle part de libre arbitre nous reste-t-il ? Je cherche à comprendre l’individu, sa singularité, sa liberté dans une société parfois aveugle à l’humain. »
..EXPOSITION BARROBJECTIF 2021 : La fabrique des héros..
C’est le 9 mai 2019 à Moscou, le « Jour de la Victoire« des russes contre l’Allemagne nazie. Soixante-quatorze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un immense cortège civil – le « Régiment Immortel » – se prépare place Pouchkine, au nord du Kremlin. Près d’un million de personnes vont traverser la ville pour arriver au centre de la place Rouge. 10 millions de personnes défilent ce même jour dans toute la Russie et à travers le monde dans près de 80 pays où une communauté russe est présente. À la manière d’une procession religieuse, les gens portent telles des icônes de grandes photos de leurs ancêtres – parents, grands-parents, arrière-grands-parents – qui ont participé à la Grande Guerre patriotique russe de 1941 à 1945.
En quelques années, ces cortèges sont devenus incontournables. Ce qui était à l’origine un mouvement de citoyens, familial, apolitique, non gouvernemental et non commercial, a rapidement été récupéré par des organisations plus politisées. Le « Régiment Immortel » est devenu le symbole de l’unité du peuple russe autour de ses héros. Un succès extraordinaire encouragé par les autorités russes qui assurent désormais l’organisation du défilé auquel Vladimir Poutine participe lui-même chaque année depuis 2015 en portant le portrait de son père blessé au combat.
La tradition familiale s’est transformée en une gigantesque fête nationaliste et les enfants de tous âges y sont étonnamment nombreux. Affublés très souvent d’uniformes et de casquettes militaires, ils marchent et imitent leurs parents, au rythme des chants militaires russes.
En participant à ce gigantesque culte du héros russe qui ne saurait être que militaire, le « Régiment Immortel » est désormais la partie visible d’un mouvement de nationalisme et de militarisation vaste et profond des consciences dont les enfants sont les principales cibles.
Jérémie JUNG photographe français né en 1980. Il est diplômé de l’université des beaux-arts de Strasbourg en 2001 et a été formé en photojournaliste à l’EMI-CFD en 2011. Jérémie Jung est représenté par l’agence Signatures (France).
Jérémie Jung s’intéressant à la région baltique et par extension aux marges de la Russie. Depuis 2013, il travaille notamment sur les identités estoniennes. Son travail a été publié par plusieurs médias tels que National Géographic, Géo, The Washington Post et exposé dans des musées et festivals tels que Les Rencontres d’Arles et le Musée d’Orsay. Il a reçu le prix ANI-PixTrakk en 2017 à Visa pour l’image.
..EXPOSITION BARROBJECTIF 2021 : Le Daghestan sur le fil..
Un jour Ali appela son voisin de l’autre côté de la vallée : « Eh ! Ahmed, viens donc nous rendre visite. Tu n’as qu’à jeter une corde pour traverser ! »
Au sud de la Russie en république du Daghestan le funambulisme est une pratique courante. On y affirme que cet art aujourd’hui circassien y aurait même vu le jour et était d’abord un moyen de se frayer chemins par delà les reliefs.
Il est difficile de trouver des documents attestant de l’origine effective de cet art au Daghestan. Cependant, selon un historien local – Sergey Manyshev – la pratique serait apparue au 19e siècle et était un moyen pour les chefs de guerre de prendre l’avantage sur l’occupant russe peu entrainé à ce relief caucasien.
Puis petit à petit, le funambulisme est devenu un moyen de gagner sa croute dans des endroits reculés où parfois rien ne pousse. Des troupes se sont montées et ont loué leurs spectacles de village en village, célébrations en célébrations. Très rentable, la discipline devint attractive auprès des jeunes. Face à la concurrence, les artistes devinrent très bons ! Les cirques soviétiques vinrent ainsi recruter leurs funambules au Daghestan. Il est même des villages comme Tsovkra Piervaya où l’on affirme que tous les habitants pouvaient tenir sur le câble. Mais aujourd’hui à Tsovkra, la moitié du village est en ruine et on y trouve surtout de la nostalgie chez les vieux, l’envie de déguerpir chez les jeunes, des vaches et une mosquée flambant neuve.
Effectivement aujourd’hui tout a bien changé, beaucoup de ces villages trop reculés subissent un exode rural massif. Le funambulisme n’intéresse plus et ne rapporte plus. La jeune génération rêve de la capitale, Makhatchkala. D’autres, plus crédules, ont été recrutés et sont partis combattre en Syrie. Mais face à cet appauvrissement certains résistent encore et pratiquent tant bien que mal, d’autres s’évertuent à transmettre et ont ouvert des écoles où tous peuvent apprendre.
C’est ainsi qu’Askhabali Gasanov, ancien funambule enseignant aujourd’hui l’art du câble à de jeunes étudiants dans un vieux théâtre abandonné de Makhatchkala, explique la naissance du funambulisme au Daghestan.
Anita De Roquefeuil est photographe freelance, née à Bordeaux en 1986, elle est fascinée par la Russie et les anciens pays de l’URSS.
La photographie pour elle est une façon d’enquêter sur la vie quotidienne des différents groupes et communautés dans le contexte des changements environnementaux, politiques, sociaux et ou économiques.
Son travail tente de montrer l’impact de l’activité humaine, les modes d’adaptation et la diversité des modes de vie.
EXPOSITION BARROBJECTIF 2017 – Siberia : from future past
Ce reportage a été réalisé au cours de séjours en Sibérie, entre 2015 et 2017, de l’Altaï, en passant par le Kraï, de Krasnoïarsk à l’Oblast d’Irkoutsk. Une manière de tirer le portrait d’un monde en train de basculer.
Ces régions ont été fortement marquées par les années de l’Union soviétique, qui ont accaparé l’identité des Russes. A cette époque, l’individualisme avait disparu derrière une idée, celle du communisme.
Certains Russes de Sibérie, comme dans beaucoup de ces régions oubliées financièrement par Moscou, paraissent regretter cette époque. Ils semblent dire que la vie était plus facile avant.
Aujourd’hui, la vie des Sibériens est plus complexe. La jeunesse quitte les campagnes pour les grosses villes de l’ouest de l’Oural. Ceux qui restent sont partagés entre un besoin d’émancipation individuelle et une retenue profonde qui est sans doute liée à l’histoire du pays.
Cette dualité se traduit par des scènes du quotidien surréalistes, une multi-nationalité insoupçonnée, une âme slave toujours aussi insondable, et qui pourtant toujours nous ramène en Russie.
Je suis intéressé par des problématiques à la fois en France et à l’internationale, celles qui reflètent les défis de notre époque. Autodidacte de formation, l’usage de la photographie et de la vidéo dans mon travail est une manière de comprendre et d’alerter au mieux l’opinion sur ces questions.
La photographie agit comme une empreinte dans le temps. Diane Arbus disait entre autre qu’« elle est la preuve que quelque chose était là et n’est plus. Comme une tâche. Et leur immobilité est déroutante. On peut leur tourner le dos, mais quand on revient, elles sont toujours là en train de nous regarder. »
Depuis 2010, j’ai pu couvrir les révolutions arabes en Égypte, Libye et Syrie, ainsi que le conflit au Soudan ou la crise ukrainienne. J’ai eu le besoin d’aborder d’autres sujets pour privilégier une approche allant au-delà de l’immédiateté des actualités. J’ai donc réorienté une partie de mon travail vers des histoires au long court imprégnées d’une démarche documentaire.
EXPOSITION BARROBJECTIF 2016 : Le choix de la guerre
Lorsqu’un homme choisit la guerre comme mode de vie, ce n’est pas un choix anodin. C’est un choix personnel: sa vie lui appartient, et il choisit de la mettre en péril pour des raisons qui lui sont propres. C’est un choix qui mène au doute, au désenchantement, à la désillusion face au mensonge ; le mensonge d’une guerre présentée comme juste et d’une cause louée comme noble par la propagande d’Etat, contre l’expérience d’une guerre absurde, fratricide, dont on ne ressort pas en héros. C’est un choix qui a des conséquences.
Ce reportage, c’est l’histoire de volontaires russes qui ont choisi d’aller se battre en Ukraine de l’Est. Il se propose de documenter leur quotidien au sein du bataillon Bars tout en laissant la guerre hors champs. Ce parti pris permettant de la personnifier comme la Mort elle-même rôdant autour du bataillon tel un spectre.
Entre les combats, les règlements de compte entre bataillons, les enterrements et les moments fragiles hors des tranchées, les images cherchent à rendre compte qu’un conflit ne repose pas nécessairement, comme le veut les représentations collectives, sur une vision manichéenne avec d’un côté du champ de bataille les « gentils » et de l’autre les « méchants ». Le choix de ces civils venus de Russie risquer leur vie contribue à nuancer ce propos. Car qu’est-ce qui poussent des hommes à mettre leur vie en danger pour une terre qui n’est pas la leur et qui ne croient pas à la propagande russe ?
Certains membres s’interrogent: se seraient-ils trompés ? Seraient-ils les méchants dans cette histoire ? Certains se considérant même comme des gentils dans le camp des méchants brouillant un peu plus les notions du Bien et du Mal. Tout ça au rythme effréné d’une guerre qui broie les corps et la raison des hommes.
EXPOSITION BARROBJECTIF 2015 – Ma chère Russie, tu me manques…
Depuis 2004, Sandrine Elberg a régulièrement voyagé en Russie, sur le territoire de ces ancêtres, les russes blancs.
Il y a onze ans, l’artiste a découvert une partie de l’histoire de son nom patronymique. Désormais, elle place son travail photographique de portraitiste dans la perspective d’une identité russe qu’elle ne veut oublier, et qui lui fait assumer autant ses thèmes de travail que leur expression plastique.
Pour l’artiste, l’histoire de ce pays est complexe et recèle une multitude de sentiments et de contradictions ; de l’étrangeté et de la révolte. Pour l’artiste, cet état est tout aussi enivrant qu’inclassable.
Sandrine Elberg place ses rencontres, ses personnages (en majorité des femmes), ses décors, entre illustration et évocation picturale.
Immobiles ou prises sur le vif, ces photographies sont une vision d’auteur : l’âme du peuple russe d’aujourd’hui.
Le temps dans ses photographies est immédiatement suspendu, la vie de ces personnages n’est plus que symbolique.
Chaque environnement qui au départ est bien réel devient intemporel, théâtral et in fine irréel.
Formation
2004 Post-Diplôme – Ensb-a – Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris 2003 DNSAP – Ensb-a – Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris (depuis 1997) 2002 Séminaire Introduction à l’exposition de Christian Bernard, Directeur Mamco de Genève 1997 DEUG Arts Plastiques – UFR d’Arts Plastiques & Sciences de l’Art – Paris1
Expositions personnelles
2012 Paris Burlesque – Mois de la Photo 2012* – Galerie Benj, Paris 2010 Je suis Russe, moi aussi – Galerie Popy Arvani, Paris Expositions collectives
2015 Biennale d’Issy – Curateur Chantal Mennesson, Musée la Carte à Jouer, Issy-les-Moulineaux Rites de passage – Curateur Sandrine Elberg – Plateforme, Paris 2014 Héroïnes – Curateur Marie Deparis-Yafil & Agence PopSpirit – Salle polyvalente, Guyancourt 2013 Phot’Aix – Marseille-Provence 2013, Musée des Tapisseries, Aix-en-Provence Exils – Curateur Laurent Quénéhen – Les Salaisons, Romainville A nos pères – Curateurs Marie Deparis-Yafil & Brankica Zilovic – Galerie 213 PM, Paris 2012 Projet X, Musée la Carte à Jouer, Issy-les-Moulineaux Itinéraires Photographiques en Limousin – Pavillon du Verdurier, Limoges 2011 11ème Boutographies* – Festival Photographique Européen – Montpellier 2010 A toutes jambes* – Curateur Catherine Gobet-Lalanne – Galerie d’En Face – Paris Paris/Moscou/Photographies* – Curateur Olga Sviblova, Cité internationale des arts, Paris Répertoires de femmes – Curateur Eve Frison, Centre d’Art Aponia, Villiers-sur-Marne Moscou dans la valise – Curateur Céline Berger – Les Salaisons , Romainville 8e Moscow Photobiennale* – Curateur Olga Sviblova, Musée d’Art Moderne de Moscou 2009 8e Biennale d’Issy – Curateur Chantal Mennesson, Musée la Carte à Jouer, Issy-les-Moulineaux Jeonju-photofestival 2009* , Culture et urbanité – Jeonju, Corée 2008 Les apparences sont trompeuses – Curateur Laurent Quénéhen – Les Salaisons, Romainville 2006 Contrôle d’identité – Mois off de la photographie – Galerie Jeune Création, Paris 16 ans !* Curateur Hélène Agofroy, Centre d’Art Contemporain Le Quartier, Quimper 2005 Bon Voyage – Curateur Dominique Abensour, Centre d’Art Contemporain Le Quartier, Quimper Jeune Création 2005 – La Bellevilloise, Paris Silver Camera Award – Curateur Olga Sviblova, Maison de la Photo Moscou, Russie ManifestO* – Festival d’images – Toulouse 2004 Nature/Artificiel, Nuit Blanche 2004 – Bercy Village, Paris
Mon manège à moi – Commissaire Laurent Quénéhen – Galerie EOF, Paris 2003 Rococo & Co*, Curateur Emmanuelle Brugerolles – Ensb-a, Paris Singles, Curateur Christian Bernard (Mamco) Galerie Pitch, Paris Chambre d’hôtel, Projet RATP, Ligne14 – Métro Gare de Lyon, Paris
Portrait de Sandrine Elberg
Projections Photographiques
2012 Paris Burlesque – 4 à 8 Edition #2, Aix en Provence 2006Art Force – Curateur Pierre Courtin, Galerija 10m2 – Sarajevo, Bosnie 2004Festival Voies Off des Rencontres de la Photographie – Curateur Christophe Laloi, Arles * Edition d’un Catalogue
2012/13 Rurart – Drac et région Poitou-Charentes / Lycée Rompsay / Collège Eglantines, La Rochelle 2012 Plus tard, je serai… Ecole Jean Jaurès CP – DRAC & Aponia, Villiers s/ Marne 2010 La Générale en Manufacture, Sèvres 2004 Lauréate Résidence AFAA/Ville de Paris/Maison de la Photographie de Moscou, Russie
Prix Photographiques
2013 Finaliste Prix HSBC pour la Photographie par Emmanuelle de l’Ecotais 2012 Finaliste Prix Photographique Fondation Les Treilles par Agnès Gouvion Saint-Cyr 2011 Finaliste Prix PICTO de la Jeune Photographie de Mode 2011 Finaliste Prix Photographique Scam Roger Pic 2011Prix ARTE Actions Culturelles – 11ème Boutographies 2010 Lauréate – Mission Jeunes Artistes 2010 (MJA) Les Abattoirs – Toulouse 2009 Lauréate Nationale, « Plus que des images, des histoires » Canon & Le Monde de l’Image 2008 Lauréate Nationale, Concours Fnac et Nikon 2001 Bourse Colin-Lefranc – Digital & Media Art, Emily Carr Institute of Art, Vancouver, Canada
Evènementiels / Foires d’arts / Ventes aux enchères
2011 Salon de la photo, Leçons de photographie New Burlesque avec Images Magazine 2011 Drouot – Ventes aux enchères / Catherine Charbonneaux, Collection Arcime, Paris 2010 Chic Art Fair – Galerie Quénéhen – Cité de la mode & du design, Paris 2005 FIAC – Atelier Cardenas Bellanger, Hall 5.1 Future Quake, Paris
Né le 16 mai 1961 à Paris. Après des Études à l’école Estienne Éric Bouvet devient en 1982, reporter photographe à l’agence Keystone. Puis, de 1983 à 1990, à l’agence Gamma. Depuis 2004 il est indépendant avec VIINetwork Ses deux pays de prédilection sont l’Afghanistan et la Tchétchénie. Dans chacun d’eux, il s’est rendu au moins une dizaine de fois. Il a couvert également les conflits internationaux et les grands événements comme les funérailles de Khomeiny, la chute du mur de Berlin, la révolte étudiante de Tien An Men à Pékin, la libération de Mandela en Afrique du Sud, les funérailles de Rajiv Gandhi, les Jeux Olympiques de Séoul, la chute du Concorde à Goussainville, le tremblement de terre en Algérie … Il a obtenu de nombreux prix dont le Visa d’Or du Festival du Photo-journalisme de Perpignan Groznyï, Tchétchénie (2000) et le Prix du Correspondant de Guerre – Bayeux Groznyï, Tchétchénie (2000) et plusieurs World Press Photo : 2éme prix natures séries – Gaz toxiques, Cameroun (1987) ; 1er prix news features – Les funérailles de Khomeiny (1990) ; deuxième prix spot news – La guerre du Golfe (1991) ; 3éme prix news stories – Commandos Russes, Tchétchénie (1995).
EXPOSITION BARROBJECTIF 2008 : Les commandos Russes d’infiltration et de renseignements en Tchétchénie
Je suis parti de Grozny depuis une semaine, avec une soixantaine d¹hommes sur 8 blindés. Je n’ai que sept pellicules diapo dans mon sac.
Sur les contreforts des montagnes du Caucase, nous attendons depuis deux jours. La pluie inonde la ruine censée nous protéger. Le peu de murs tremblent sous les coups de butoir de l’artillerie qui s’est positionnée près de là. Pour le repas journalier, la gamelle noire passe de mains en mains. Au menu : la vache égorgée deux heures plus tôt.
Départ, et consigne pour l’assaut de la colline de nuit. Les chars progressent, mais s’enlisent dans la montée. La progression se fait à pied, sous les tirs d’obus Russes qui nous passent par-dessus la tête. Des tirs Tchétchènes nous accueillent. Les deux soldats qui m’entourent répondent où ils peuvent, ça tire un peu dans tous les sens. Je baisse la tête, j¹ai l’air malin avec ce foutu appareil photo sur le ventre en pleine nuit, encore une situation incontrôlable, tout m’échappe. Les balles sifflent et déchirent le feuillage au-dessus de nous. Bienvenu dans l’épicentre de la folie, à quatre pattes j’essaye de me cacher, un de mes protecteurs me pose carrément sa botte sur mon dos pour que je reste couché. Il m’indique un trou dans lequel je me jette. Je n’entends plus rien tant les armes dégueulent leurs rafales. Mon protecteur ne cesse de vouloir sortir la tête, mais doit replonger illico, car la fusillade est d’une intensité incroyable. Soudain, il se dresse, et tire avec son RPG, je le croyais blessé, car il se tortillait comme un diable, en fait c’est la déraison qui le prend au corps. Il sort une nouvelle fois pour décharger son arme avec frénésie. Impossible de me blinder par le travail, la trouille est plus qu’installée, je suis passé dans une autre dimension, au-delà de la conscience, au-delà de la raison. J’ai l’impression de ressentir le choc des balles, la lumière aveuglante des explosions et le bruit intolérable des déflagrations. Pour être totalement dans la réalité, le Major se penche sur moi. Me crie « Bolchoï problem » ce qui peut se traduire par « grand problème » et me tend un revolver. Il veut absolument que je le prenne. Je refuse de la tête. Il insiste, mais je ne peux accepter cette arme. La prendre c’est reconnaître que je suis partie prenante dans cette tuerie. Je hais la guerre.
Je n’ai jamais toléré l’idée même de la guerre et j’ai toujours refusé de porter une arme. Jamais je n’ai été aussi convaincu de mes décisions qu’à cet instant même. Le major disparaît et je reste effondré dans mon coin, tout cela veut dire que nous sommes foutus, je n’ose pas le croire. Ces Russes sont surarmés, il est impossible de perdre, et toi ma super chance, où es-tu?
Soudain, un soldat me saisit par le dos et m’arrache de mon trou. Il me tient en l’air d’une seule main comme une poupée de chiffon et de l’autre il lâche des rafales de la mitrailleuse 12,7 d’une vingtaine de kilos qu’il brandit comme un jouet. Avant qu’il ne me balance dans un autre trou, j’aperçois son visage dans l’éclat d’une explosion. Il est couvert de boue et de sang, il hurle des mots incohérents. Dans ses yeux exorbités, luisants de haine se reflète une jouissance abominable. Le souffle de l’explosion nous projette. Le trou dont je viens d’être expulsé est arrosé par une pluie d’éclats. Ce chien de guerre vient de me sauver. J’éclate de rire, mes nerfs me quittent, les hommes qui m’entourent sont transformés en bêtes sauvages luttant pour leur survie, quant à moi je ne suis plus rien, juste une loque, une merde, un tas de conneries. À ce moment-là, je n’ai qu¹une idée, m’enfoncer dans cette boue, je creuse avec mes mains. J’ai l’impression que tout le monde me voie. Je voudrais me cacher, m’enfouir, disparaître. Comme je n’y arrive pas, j’abdique et m’allonge sur le dos pour regarder ce ciel merveilleux plein d’étoiles filantes. Je suis parti pour marcher sur la Voie lactée quand un big-bang éclate près de moi. Je retrouve mes esprits en recevant quelque chose de chaud sur le visage. Il me faut me protéger, je prends donc mon petit sac photo en toile, le vide du matériel, et l’ajuste sur ma tête. Je suis enfin à l’abri, « allez y entre-tuez vous » pensais-je, « tuez, tuez, tuez-vous tous que le sang gicle que les corps se vident et pourrissent que plus rien n’existe, faites table rase sur cette démence ».
Il ne peut plus rien m’arriver au milieu de cette fureur, car je ne suis plus là, parti chez moi je cherche désespérément le visage de ma femme qui ne m’apparaît plus. Brune, c’est le seul trait dont je me souviens. Je suis dans un espace sans temps, un espace où la vie et la mort ne font plus qu’un, j’abandonne, plus rien n’a d’importance, j’oublie de vivre.
Au petit matin je me réveille et découvre des corps étendus un peu partout. Deux morts ont été allongés l’un à côté de l’autre et beaucoup de blessés geignent. J’essaye de les photographier, mais c’est difficile, car il n’y a pas assez de lumière, de plus ils refusent de se laisser prendre. Ils tournent la tête en me repoussant d’un geste du bras. Je n’insiste pas. Il y a cette scène que je ne peux photographier, un soldat pleure devant la dépouille de son ami, le mort n’a plus de visage, il a dû se prendre un morceau de roquette, méconnaissable. Les familles recevront un cercueil en zinc scellé. Puis son compagnon le couvre d’une couverture et me voit hébété, je ne suis pas à ma place, ce n’est pas ma guerre, je ne peux rien dire rien faire. Il se lève, reprend un sourire carnassier, ses yeux pleins d’eau et de pitié se transforment en éclairs pleins de haine. Il m’entraîne et me montre le cadavre d’un Tchétchène encore plus amoché, même défiguration, mais en plus une ouverture béante à la place du ventre. Le soldat russe heureux de cette vengeance, décroche quelques coups de pied rageurs au corps sans vie, et pour finir crache dessus. Nous sommes tous devenus fous, chacun à sa façon.
Je mesure la distance qui sépare le cadavre, de mon trou dans lequel j’ai passé la nuit, il n’y a que quatre mètres, c’en est trop je ne veux plus rien comprendre ni analyser, c’en est fini, il me faut revivre et laisser tout cet enfer en dehors de ma vie. Il faut que je me purifie. Je trouve une flaque d’eau et me frotte le visage pour enlever les plaques de boue et de sang qui me maculent. Parce que j’ai la gorge en feu, parce que j’ai trop soif, je bois cette eau saumâtre… Geste imbécile que je regretterai pendant plusieurs années.
Le major donne de nouvelles instructions. Les vingt-six blessés dont dix graves sont dirigés vers l’arrière en compagnie des cinq morts roulés dans des couvertures. Je fais le décompte, sur la soixantaine, un homme sur deux a été touché, ma super bonne grosse étoile ne m’a donc pas abandonné… La chance, il ne faut pas en abuser, et si j’avais du courage, je partirais avec les blessés. Mais la chance c’est aussi de pouvoir faire ce reportage unique. Deux heures plus tard, une contre-attaque Tchétchène réveille les soldats épuisés par une nuit de combat. C’est reparti, ça défouraille à tous va, mais cette fois il fait jour et je peux enfin travailler. Mais au bout de 10 minutes, les assaillants s’enfuient. À moins de deux Kms plus bas dans la vallée nous les voyons embarquer dans un camion. Le capitaine russe rit de leur erreur et monte dans la tourelle du blindé, pour se servir du lance-missile téléguidé. L’obus part, durant quelques secondes nous pouvons suivre sa progression, guidés par le tireur c’est comme un jeu d’enfant. Le camion explose, deux hommes sautent, l’un ne se relève pas, l’autre se cache dans un bosquet. Deuxième missile, la cache vole en poussière ainsi que les hommes qui s’y croyaient protégés. Les Russes applaudissent les qualités de tireur du capitaine, moi je viens de voir la mort en direct. Tout à l’air calme, nous pouvons progresser vers le village. Dans les bois des tireurs embusqués continuent de nous harceler. Trop dangereux, il nous faudra faire un détour qui durera toute la nuit. Sur le chemin, les chenilles du blindé écraseront un cheval. Deux bruits ignobles, celui de la carcasse broyée et l’autre du ventre qui éclate pour libérer les viscères gonflés.
Au lever du jour nous arrivons aux abords du village. Le convoi s’arrête à distance respectable et sont envoyés les cosaques comme éclaireur nettoyeur. Presque tout le monde s’endort dans l’herbe, réchauffés enfin par le soleil revenu. Quelques coups de feu réveillent le major qui grogne d’envoyer quelques hommes en appui aux cosaques. Je somnole, impossible de décompresser. Trop de questions me viennent à l¹esprit. À quoi bon faire ce foutu métier ? Pourquoi prendre tant de risque ? Pour dénoncer les horreurs de ce monde ? Pour cette belle utopie qu’est le témoignage journalistique ? Ou tout simplement pour l’ego ? La vérité est peut-être un mix de tous ces faits, et c’est si dur de se l’avouer. Ma conscience me crache toute crue la vérité.
Je m’en veux de m’ouvrir les yeux. Que suis-je venu chercher ici ?
Deux heures plus tard, les cosaques reviennent avec différends trophées, une télévision, des coussins de canapés, des boîtes de conserve, deux oies, un caméscope, une marmite en fonte, un sac de riz, des poules, un sac de noix, bref la caverne d’Ali Baba. La cerise sur le gâteau c’est un prisonnier. Presque à chaque pas le tchétchène tombe, relevé à coups de pied, il a le visage tuméfié, quelques coups de crosses le poussent dans son ascension vers l’enfer. Les habits déchirés, blessé au bras, il était caché dans une maison. Comment se fait-il que ses compagnons l’aient abandonné ? Son regard ne quitte pas le ciel, il doit savoir qu’il est déjà mort, moi je ne le sais pas encore. Les trophées sont enfoncés dans les blindés, la télévision trop grosse ne rentre pas, le sac de riz s’écorche et se répand par terre, les oies ne se laissent pas faire et pincent, une fois les portes arrière refermées ce sont les poules qui se sauvent par le sas du conducteur, c’est n’importe quoi.
L’interrogatoire du tchétchène commence. L’homme s’agenouille, il est jeune, le même âge que ceux qui le questionnent. Il fait partie du groupe qui a mené la contre-attaque la veille sur la colline, et a reçu une balle dans le bras. Les Russes sourient de satisfaction. Le tabassage commence et chacun y va de bon cœur, seulement des coups de pied, car on/ils ne veulent pas se salir les mains. Battu sur tout le corps, la tête, le ventre, le dos, les parties, l’homme geint tout en regardant le ciel. Devant ma surprise mêlée de dégoût, l’un d’eux m’explique que c’est ce tchétchène qui a tué ses camarades russes là-haut, que c’est normal qu’il meure… Le major se rend compte de ma stupéfaction et fait emmener le prisonnier à quelques mètres de là au bord du précipice, l’un des soldats suit tout en vissant son silencieux au bout de son pistolet. Le prisonnier hurle quelques mots, une petite détonation sourde et sèche met fin à une vie. Le Russe revient en se frottant les mains de haut en bas comme après un travail bien fait. Je suis avec des assassins. Pourtant je le sais qu’il n’existe pas de guerre propre, ce n’est qu’une belle utopie des politiciens, qui sont à mille lieues d’imaginer ce que veut dire ce mot horrible : Guerre.
Un soldat hurle, en montrant du doigt au loin un homme marchant dans un champ avec ses moutons. Un blindé part à sa poursuite et le ramène cinq minutes plus tard. Quarante ans, le chapeau tchétchène sur la tête. Questions, cigarettes, réponses, le petit jeu dure vingt minutes, puis un long silence s’installe. L’homme reste calme, il n’a pas l’air inquiet le berger, moi je le suis pour lui, ce n’est pas un combattant, mais certainement un sympathisant comme quatre-vingt-dix pour cent de la population, pourrait-on lui reprocher, c’est sa terre, sa famille est de ce village, quoi de plus normal ? Mais j’avais oublié que je n’étais plus dans la normalité depuis quelques jours, et l’homme est emmené vers le bosquet près du précipice, il a juste le temps de comprendre, l’arme fût plus rapide que sa voix, par deux fois le son étouffé du silencieux claquât, rideaux. Elle aurait pu être belle cette journée, le ciel est pourtant bleu.
Nous prenons possession de l’école qui va nous servir pendant quelques jours de camp retranché. Les attaques nocturnes sont fréquentes. Le pire ce sont les beuveries. Et quand il n’y a plus de vodka, c’est du spirit à 90°.
Un colonel débarque à l’improviste, furieux il réveille les soldats, je ne comprends pas ce qu’il dit tellement il gueule fort, je me cache dans une armoire pour éviter le pire. Dans l’embrasure de la porte, je scrute les réprimandes sur la tenue du campement, il fait aligner tout le monde au garde à vous. C’est vrai qu’au niveau vestimentaire il y a comme un laisser-aller, un certain mélange de cour des miracles et de soirée drag queen. L’un est en pyjama rose, l’autre en chemise hawaïenne, un autre a des chaussons de femmes brodés de petites perles scintillantes, celui-ci un tissu tchétchène décoré de fleurs portées façon toge romaine, celui-là une robe de chambre pourpre, un sous off en slip…Du fond de ma cachette, je pouffe de rire, je regrette de ne pouvoir immortaliser le tableau.
Une nuit, un coup de feu est tiré du couloir, je décide de ne pas bouger pensant à une querelle ayant mal tournée. Au petit matin dans l’entrée, deux soldats penchés sur une forme s’invectivent, il fait encore sombre. En fait c’est un homme qui baigne dans son sang au milieu des grains de maïs d’un sac éventré. Ses membres sont désarticulés par les traumatismes, un râle inhumain me glace le sang. J’y suis, le coup de feu de cette nuit, c’était la balle logée dans sa cuisse. Le prisonnier est jeune, son visage est méconnaissable, j’aperçois des fils qui sortent de sa bouche, la main du soldat russe actionne une manivelle à l’autre bout du branchement, « la chose » se débat du peu de force qui lui reste, la manivelle tourne de plus en plus vite, le corps est secoué de tremblements et un son inimaginable sort de cette bouche déformée par la souffrance. Le tortionnaire s’aperçoit de ma présence, me tend la main afin de me saluer, le contact me glace le sang jusqu’au plus profond de moi-même. Il me demande si je vais bien, que je n’ai pas l’air en forme, complètement médusé je ne peux ni répondre ni bouger. La gégène continue de fonctionner et l’homme qui n’en est plus un, bave des sons de souffrances, inaudibles à l’oreille humaine. Je n’en suis pas à mon premier conflit, j’ai vu pas mal de saloperies, je ne me fais aucune illusion sur les tortures infligées dans les geôles de chaque camp du monde entier. Mais là, je suis devant, j’assiste à cette violence pure sans artifice, la mort finit son travail lentement, tout est calme autour de nous, la vie ne veut pas se lever ce matin-là. Je cours vomir. Je hais mes appareils photo, c¹est à cause d’eux que je suis ici.
Le lendemain des cris et des coups me réveillent, je découvre des hommes ivres de rage détruisant tout ce qu’ils trouvent. Le commandement ordonnait le repli du groupe sur Grozny suite aux accords avec Bassaïev durant sa prise d’otage à Boudonnosk. Je suis aux anges, mon billet retour se présente sous forme de défaite pour le major et ses hommes, moi je vois cela plutôt d’un bon œil, eux prennent très mal cette décision. Convaincus d’avoir gagné cette guerre, ils doivent piteusement battre en retraite. Ils noient leur frustration dans la vodka.
Le lieutenant s’évertue à planter son couteau sur un portrait du président Doudaëv. Un soldat déchire les vêtements qui nous ont si bien servis. Un autre se défoule à la hache sur les fenêtres et portes d’une maison. Un accordéon local voltige dans les airs. Un malheureux chien la queue basse termine son chemin sous une rafale. Hurlements et bouteilles vides, la haine continue son œuvre sur ce pauvre village. Tout est vandalisé, une fumée s’échappe d’un toit, puis deux, quelques maisons s’enflamment. Il me faut appuyer sur le déclencheur de mon appareil photo, mais je m’en fous, je suis ailleurs, déjà parti et installé sur un des blindés j’attends qu’ils finissent leurs bases œuvres. Je doute d’un coup de ces hommes, la folie va-t-elle les conduire plus loin que l’imaginable.
L’on vient me chercher pour partager un dernier trophée, les quatre soldats sont ivres, le trésor de guerre est une femme ! Je fais semblant de ne plus pouvoir bouger à cause de mon pied blessé, l’un deux me répond en me montrant son sexe que c’est plus de cela que l’on a besoin dans le cas présent. Je me refuse d’y croire, j’ai oublié qu’il manquait le viol au tableau de chasse. Le fond est touché, je planque mes appareils photo, ce n’est plus la peine d’essayer quoi que ce soit, la situation glisse vers l’incontrôlable.
Deux heures plus tard, la colonne démarre enfin, je me retourne et laisse derrière moi cet enfer, au loin devant, m’attend ma famille.